Le critère et la contestation du titre de « classique »
Selon les traditions, le canon des auteurs retenus comme « classiques » varie. Sur base de quels critères devient-on un classique ? Un classique a-t-il par définition droit à notre respect, et devons-nous nous incliner devant son autorité ? Un classique est-il contestable comme classique ? Qui le dit ? et d’ailleurs, pourquoi ? pour combien de temps ?
Dans cette conférence introductive, nous nous interrogerons sur l’accès au rang de classique de la philosophie, et nous réfléchirons à ce qu’implique l’attribution (ou la contestation) de ce titre. Nous serons également conduits à définir des limites pour circonscrire le territoire de la philosophie, dont les frontières n’ont cessé de se modifier au cours des siècles : ainsi la physique de Newton peut-elle être reçue comme un classique de la philosophie, puisque les Principes mathématiques élaborés par le savant sont des principes de philosophie naturelle ; de même, les Histoires et les Annales de Tacite contiennent assez de réflexions sur le pouvoir pour relever, à titre de classique, de la philosophie politique plus encore que de l’Histoire—et c’est d’ailleurs bien ainsi que l’entendait Juste Lipse, au seizième siècle.
La définition d’un « classique de la philosophie » impose ainsi de se pencher à la fois sur la signification des deux termes de l’expression, classique et philosophie, pour mettre un peu d’ordre dans nos idées avant même d’aborder des ouvrages « incontournables ». Sapientis est ordinare : l’office du sage consiste à mettre de l’ordre : c’est saint Thomas (un classique s’il en est, mais de la philosophie, de la théologie, ou des deux ?) qui le dit, en détournant, soit dit en passant, le classique qu’il cite ici, car Aristote dit exactement qu’il appartient au sage de donner des ordres. Tâchons donc de savoir à qui nous obéissons.